Entrepôt automatisé
Entrepôt automatisé

Emploi, Innovation, Logistique

La Logistique disruptée par les plateformes numériques

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A la jonction entre l’industrie et les services, la logistique connaît actuellement des transformations productives profondes. Une récente étude du Céreq [1] revient sur la manière avec laquelle le développement du e-commerce et des plateformes numériques recompose les chaînes de valeur de la filière, plus rapidement que ne le fait l’automatisation dans les entrepôts. Cette étude interroge les conséquences de la digitalisation de la logistique sur les organisations et leurs acteurs en termes d’emploi, de travail, de compétences et de formation, alors que les plateformes d’intermédiation en ligne sont amenées à se développer fortement dans les années à venir.

Le point sur quelques-unes des conclusions de cette étude, qui repose notamment sur des entretiens et des visites d’entreprises en AURA, Ile-de-France, et PACA, menés avec l’appui de l’AFT.

Une automatisation des entrepôts qui reste exceptionnelle

Les entrepôts du secteur, qui s’appuient sur une main-d’œuvre largement ouvrière, font actuellement face au développement d’outils numériques qui incluent principalement :

  • Les systèmes de gestion intégrés et logiciels de gestion des entrepôts (WMS ou Warehouse Management System)
  • La commande vocale pour permettre la préparation de commandes sans papier ni crayon
  • Les exosquelettes de manutention pour assister les ouvriers de manutention et préparateurs de commande portant des charges lourdes à répétition
  • Les transstockeurs de palettes mécanisés ou automatisés permettant de ranger les palettes en hauteur et développer des entrepôts verticaux
  • Les drones servant à la réalisation d’inventaires sans contact, complémentaires à la diffusion des puces à identification radiofréquences (RFID)
  • Les rayonnages « intelligents » permettant l’acheminement de marchandises vers les manutentionnaires (selon le principe goods to man).
  • Les tensions sur le marché du travail, la prévention des risques professionnels, l’augmentation des coûts du foncier, ou encore l’amélioration de la productivité, figurent parmi les principaux facteurs favorables à l’exploration de nouvelles technologies par les logisticiens.

À l’inverse, le coût des équipements (constituant un réel obstacle pour les PME), l’imprévisibilité de l’activité, les dynamiques de délocalisation, ou encore le niveau de maturité des technologies elles-mêmes, en représentent des freins.

Caractérisée par de faibles marges et une forte compétition autour des coûts, la logistique entretient un rapport prudent à l’adoption des nouvelles technologies. Ainsi, l’automatisation des opérations logistiques reste encore exceptionnelle, et les entrepôts et plateformes logistiques (EPL) semblent encore peu concernés par des évolutions technologiques d’ampleur. En effet, en 2016, d’après des travaux du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), seulement 5 % des entrepôts et plateformes logistiques réalisaient au moins une opération logistique à partir d’un système entièrement automatisé. En revanche la mécanisation d’opérations logistiques sous le contrôle d’un opérateur concerne plus d’un tiers (37 %) des EPL. La situation la plus fréquente reste celle des entrepôts s’appuyant encore exclusivement sur un travail manuel assisté d’outils logistiques simples (61 %).

Une transformation de la Logistique surtout portée par le e-commerce

Le secteur commercial (représentant 48 % des surfaces totales des EPL) est le principal conducteur d’expérimentations, et plus particulièrement le e-commerce, qui se caractérise par l’exploitation de grands entrepôts où la durée de stockage est plus faible et les salariés plus nombreux.

Largement influencée depuis les années 1970 par l’essor de la grande distribution, la logistique est désormais bousculée par les nouveaux canaux de distribution numériques : plateformes d’intermédiation des achats en ligne, développement du drive et du e-commerce, de la logistique inverse et du dernier kilomètre. La logistique est passée du paradigme du commerce de masse, au sein de grandes surfaces où l'on se rend en voiture pour faire ses achats, aux commandes passées en ligne via un ordinateur, une tablette ou un smartphone puis livrées à domicile ou dans un commerce avoisinant, le plus souvent avec la promesse d’une livraison « gratuite » et en un jour.

De petits colis (commandes individuelles), combinés à une plus grande fréquence des commandes, stimulent l’automatisation des process, poussée par l’implantation et le développement rapide d’acteurs internationaux du e-commerce. Aussi, la robotisation de la logistique constitue-t-elle aujourd’hui une possibilité notamment promue par les géants de l’Internet.

Néanmoins, du conteneur au colis en passant par la palette, l’essor des canaux de distribution numérique semble moins transformer les outils de travail que les chaînes de valeurs. Ainsi, les principes à la base du succès du e-commerce ont à la fois étendu le périmètre de la logistique (logistique du dernier kilomètre et livraison, logistique des retours), tout en redéfinissant son rythme (accéléré, augmentation des aléas) et ses modalités (plus petits volumes de marchandises), avec pour effet une transformation des chaînes d’approvisionnement, de leurs acteurs, et des conditions d’emploi et de travail de la main-d’œuvre du secteur.

Vers une polarisation des entrepôts… et des emplois

L’hétérogénéité du secteur de la logistique conduit à une vision polarisée des entrepôts : d’un côté des « entrepôts de proximité », indépendants et peu automatisés, et de l’autre de grands « hubs », fonctionnant avec très peu de main-d’œuvre, rattachés à de grands groupes nationaux et internationaux du commerce, du transport et de l’entreposage, porteurs de logiques productives similaires à celles de l’économie de plateforme (sous-traitance, dérégulation…).

Si le secteur a peu de chances de connaître une baisse spectaculaire du nombre d’emplois dans les entrepôts au cours de la prochaine décennie, différentes recherches menées principalement aux États-Unis soulignent que de nombreux travailleurs verront le contenu de leur travail et la qualité de leur emploi se transformer. Comme en France, le e-commerce y représente environ 9 % des ventes du commerce de détail en 2019, tout en ayant connu une progression similaire (doublement des parts de marché en 7 ans). Parmi les conséquences liées au développement du e-commerce sur le travail quotidien, on peut évoquer l’apparition potentielle de nouvelles formes d’intensification du travail et la déqualification de nombreuses tâches encourageant par ailleurs un recours accru à l’intérim.

Dans ce contexte, les emplois aussi se polarisent : d’un côté un management diplômé et formé dans les écoles d’ingénieurs et de commerce, et plus généralement des individus très qualifiés à qui le numérique offre des opportunités d’enrichissement de leurs compétences et d’accès facilité à des informations et des savoirs, et de l’autre côté une large majorité de métiers peu qualifiés, et peu attractifs en dépit d’un accès relativement aisé à ces professions, subissant un appauvrissement des tâches.

De plus, les reconfigurations du système productif liées à la révolution e-logistique en cours sont porteuses de transformations plus larges des relations professionnelles dans l’ensemble du transport et de la logistique : développement de la sous-traitance et du travail indépendant, déclin du syndicalisme, racialisation de la main-d’œuvre.

L’autonomie numérique, facteur clé de l’employabilité des individus

Si le numérique ne supprime pas nécessairement les emplois, il les transforme en les orientant davantage vers des activités de contrôle, et peut améliorer les conditions de travail de ces métiers, par exemple en limitant la pénibilité physique du travail des préparateurs de commande (exosquelettes) ou en constituant une aide cognitive (lunettes digitales). Le numérique apparaît ainsi comme un levier pour rendre ces métiers plus attractifs (introduction de nouvelles technologies numériques dans les activités quotidiennes de manutention encore largement manuelles).

Cependant, à l’instar de la commande vocale, tout en cherchant à réduire la sinistralité dans les entrepôts, ces mutations présentent en parallèle le risque d’une intensification des sollicitations cognitives, et potentiellement d’un transfert des troubles musculo-squelettiques (TMS) vers les risques psycho-sociaux (RPS).

Au niveau des individus, le numérique interroge la maîtrise des outils numériques, c’est-à-dire « l’autonomie numérique » comme déterminant de « l’employabilité » des individus. Cette maîtrise devient un savoir de base. La compétence première attendue des ouvriers de la logistique est l’adaptation à un environnement numérique et dématérialisé, en plus des savoir-être dans une acception large.

A Saint-Martin-de-Crau, dans les Bouches-du-Rhône, un exercice de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences en logistique, cité par le Céreq, identifie les nouvelles compétences suivantes liées au numérique :

  • Utiliser les nouveaux outils de manutention
  • Utiliser les outils numériques de gestion des informations nécessaires à la réalisation de l’activité
  • Assurer la gestion des flux et de leur optimisation à l’aide d’interfaces numériques
  • Communiquer et se positionner dans des environnement numériques et dématérialisés
  • Coordonner ses actions en lien avec des systèmes de manutention, stockage, et palettisation automatisés
  • Piloter des chariots autoguidés (travail dans un environnement automatisé)
  • Assurer la maintenance de premier niveau des objets connectés usuels présents dans les entrepôts
  • Interagir avec les robots
  • Intégrer dans ses activités et comportements la dimension « verte ».

 

Renvoyant à une quatrième révolution industrielle après la vapeur, l’électricité et l’informatique, le virage « cyber-physique » pose la question des transformations du travail, de l’emploi et des compétences. Face à ces défis, le Céreq recommande de contribuer à la montée en compétences de la main-d'œuvre, plutôt qu'à son adaptation étroite aux process de production, en établissant les bases d’une sécurisation des parcours.


[1] Céreq Etudes n°34 – Dynamiques numériques, gestion de la main d’œuvre et transformations du travail dans les entrepôts et plateformes de la logistique (https://www.cereq.fr/sites/default/files/2021-03/CETUDES-34.pdf)

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